L’arrêt Blanco du 8 février 1873

L’arrêt Blanco du 8 février 1873

L'arrêt Blanco du 8 février 1873 est souvent présenté comme l'arrêt fondateur du droit administratif moderne. Retour sur cette décision.

Pour rappel l’arrêt Blanco a été rendu le 8 février 1873 par le Tribunal des conflits et non par le Conseil d’Etat.

Il s’agit d’une décision particulièrement importante pour le droit administratif pour au moins deux raisons :

  • Elle assouplit les conditions juridiques relatives à l’engagement de la responsabilité administrative de l’Etat.

  • Elle pose le principe selon lequel le droit administratif est un droit autonome et spécial, c’est-à-dire dérogatoire du droit civil.

La fiche de l’arrêt Blanco

Voici les éléments principaux à retenir sur cette décision historique, sous la forme d’une fiche d’arrêt, exactement comme devriez la faire dans un exercice de commentaire d’arrêt.

L’accroche

A la vérité, nous avons reconnu que l’Etat, comme propriétaire, comme personne civile capable de s’obliger par des contrats dans les termes du droit commun, était, à ce double point de vue, dans ses rapports avec les particuliers, soumis aux règles du droit civil. Mais il ne s’agit pas là de l’Etat propriétaire ou personne civile ; il s’agit là de l’Etat puissance publique à qui l’on vient demander compte“.

Dans ses conclusions sous l’arrêt commenté, le commissaire du Gouvernement David distingue de manière claire l’Etat agissant en tant que personne privée et l’Etat agissant en tant que personne publique.

Cette distinction est intéressante, dont la mesure où elle fonde la différenciation entre le droit civil et le droit administratif.

Les faits

Une jeune fille âgée de 5 ans, dénommée Agnès Blanco, est renversée par un wagonnet conduit par les employés d’une manufacture de tabac. A l’époque, les manufactures de tabac étaient exploitées directement par l’administration agissant en tant qu’autorité publique.

Le wagonnet passant sur la cuisse jeune Agnès Blanco, celle-ci dû subir une amputation.

La procédure

Le 24 janvier 1872, Jean Blanco, le père d’Agnès Blanco, assigne l’Etat, représenté par le préfet de la Gironde ainsi que les employés de la manufacture devant le tribunal civil de Bordeaux. Il considère en effet que l’Etat doit être condamné sur le fondement des articles 1382 et 1384 du Code civil, c’est-à-dire sur le fondement de la responsabilité pour faute ou de la responsabilité du fait des choses.

Le 17 juillet 1872, le tribunal civil de Bordeaux s’estime compétent pour connaître de l’affaire.

Le 22 juillet 1872, le préfet de la Gironde prend un arrêté de conflit, qui oblige le juge judiciaire à surseoir à statuer jusqu’à ce que le Tribunal des conflits décide si le juge judiciaire ou le juge administratif est compétent pour connaître de l’affaire.

Le Tribunal des conflits est donc saisi de la présente affaire.

Les demandes et moyens de droit soulevés par les parties

Le préfet de la Gironde, représentant de l’Etat, demande au Tribunal des conflits de reconnaître la compétence du juge administratif pour cette affaire.

En effet, le préfet considère qu’en vertu des lois des 16 et 24 août 1790 et du décret du 16 Fructidor An III, les juridictions judiciaires ne peuvent pas connaître des affaires administratives et donc des demandes visant à engager la responsabilité de l’Etat.

La question de droit posée au Tribunal des conflits

Dès lors, la juridiction judiciaire est-elle compétente pour statuer sur les dommages causés par les services publics de l’Etat ?

La réponse apportée par le Tribunal des conflits

Le Tribunal des conflits apporte ici une double réponse :

  • D’une part, l’Etat peut bien être considéré comme responsable du fait des dommages qu’il cause à travers ses services publics. Il n’existe donc pas de principe d’irresponsabilité de l’administration.

  • D’autre part, la responsabilité de l’administration, ni générale ni absolue, ne saurait être engagée sur le fondement du Code civil. Le juge administratif est donc compétent pour connaître de ces litiges.

Les apports de l’arrêt Blanco

Comme indiqué précédemment, cette décision est importante en ce qu’elle nous informe sur deux éléments essentiels.

La responsabilité de l’Etat est susceptible d’être engagée

Rétrospectivement, cela peut paraître évident, mais ce ne l’était pas du tout à l’époque !

En effet, pendant très longtemps, le principe qui dominait le droit administratif était celui de l’irresponsabilité de l’Etat.

Autrement dit, l’administration, même si elle avait commis une faute, ne pouvait pas voir sa responsabilité engagée. Les victimes n’étaient donc jamais indemnisées.

L’arrêt Blanco vient mettre un terme à ce principe en précisant que la responsabilité “peut incomber à l’Etat” et qu’elle a “ses règles spéciales qui varient suivant les besoins du service“.

C’est donc pour cette raison qu’il s’agit de l’une des décisions fondatrices du droit de la responsabilité administrative.

Le droit civil ne peut pas être appliqué à l’Etat

Le Tribunal des conflits précise dans l’arrêt Blanco que la responsabilité de l’Etat “ne peut être régie par les principes qui sont établis dans le Code civil” et qu’elle n’est “ni générale, ni absolue“.

Autrement dit, il est précisé que les règles concernant l’engagement de la responsabilité civile contenus dans le Code civil ne sauraient être appliqués à l’Etat.

De manière simple et directe, les juges répartiteurs refusent que l’administration soit soumise au droit privé, qui s’applique entre pour les personnes physiques et morales.

Cela revient à dire que le droit administratif est un droit autonome et spécial :

  • Autonome, parce qu’il n’a pas être calqué sur le droit civil. Il obéit à des règles et des logiques différentes, avec un juge chargé de son application différent du juge judiciaire.

  • Spécial, parce qu’il peut retenir des solutions différentes de celles retenues par le Code civil, en raison du fait qu’il s’applique à l’administration, garante de l’intérêt général, et non à de simples personnes privées.

C’est donc pour cette raison que l’on considère assez souvent que l’arrêt Blanco est un arrêt fondateur du droit administratif moderne, tel qu’il est encore enseigné en faculté de droit aujourd’hui.

Le mythe de l’arrêt Blanco ?

Beaucoup de juristes ont cherché à nuancer l’importance de l’arrêt Blanco dans le développement du droit administratif.

Une reconstruction historique par l’école du service public ?

D’une part, à l’époque où la décision est rendue, la notion de service public n’est pas aussi importante qu’elle l’est aujourd’hui dans la jurisprudence administrative. Si le mot est bien employé dans la décision, il n’a pas du tout la même signification à l’époque.

En effet, l’école du service public se développe après cet arrêt, sous l’influence de Léon Duguit. Ce sont plutôt les décisions CE, 1903, Terrier, TC, 1908, Feutry et CE, 1910, Thérond qui emploient plus volontairement la notion.

Autrement dit, selon certains juristes, la décision Blanco aurait pu être instrumentalisée par les tenants de cette école de pensée, alors même qu’elle n’évoque que très timidement la notion de service public.

Le précédent de l’arrêt Rothschild

Par ailleurs, contrairement à ce que beaucoup d’étudiants en droit peuvent penser, la possibilité d’engager la responsabilité de l’administration est bien antérieure à l’arrêt Blanco.

Ce principe avait déjà été posé par le Conseil d’Etat dans sa décision Rothschild de 1855.

Sur ce point précis, le Tribunal des conflits n’a donc nullement innové.

La compétence suit-elle toujours le fond ?

En droit administratif, on dit souvent que la “compétence suit le fond“.

Cela veut dire que le fond du droit applicable va déterminer quel juge sera compétent pour connaître d’un litige.

Autrement dit, si le droit administratif s’applique, le juge administratif sera compétent. A l’inverse, si le droit civil s’applique, le juge judiciaire sera compétent.

C’est bien ce qu’il se passe avec l’arrêt Blanco : le droit de la responsabilité administrative doit d’appliquer (à défaut du Code civil), ce qui revient à dire que le juge administratif sera compétent pour connaître de l’affaire.

Pourtant, les choses sont aujourd’hui loin d’être si simple.

Sans rentrer dans les détails, le juge administratif peut aujourd’hui appliquer le droit civil tout comme le juge judiciaire peut appliquer le droit civil.

Bien entendu, cela se produit dans certains cas précis, qui sont très loin d’être majoritaires.

Mais le principe selon lequel “la compétence suit le fond“, qui a largement été alimenté par l’arrêt Blanco, est en réalité loin d’être absolue. Il faut donc largement le relativiser.

Pour rappel l’arrêt Blanco a été rendu le 8 février 1873 par le Tribunal des conflits et non par le Conseil d’Etat.

Il s’agit d’une décision particulièrement importante pour le droit administratif pour au moins deux raisons :

  • Elle assouplit les conditions juridiques relatives à l’engagement de la responsabilité administrative de l’Etat.

  • Elle pose le principe selon lequel le droit administratif est un droit autonome et spécial, c’est-à-dire dérogatoire du droit civil.

La fiche de l’arrêt Blanco

Voici les éléments principaux à retenir sur cette décision historique, sous la forme d’une fiche d’arrêt, exactement comme devriez la faire dans un exercice de commentaire d’arrêt.

L’accroche

A la vérité, nous avons reconnu que l’Etat, comme propriétaire, comme personne civile capable de s’obliger par des contrats dans les termes du droit commun, était, à ce double point de vue, dans ses rapports avec les particuliers, soumis aux règles du droit civil. Mais il ne s’agit pas là de l’Etat propriétaire ou personne civile ; il s’agit là de l’Etat puissance publique à qui l’on vient demander compte“.

Dans ses conclusions sous l’arrêt commenté, le commissaire du Gouvernement David distingue de manière claire l’Etat agissant en tant que personne privée et l’Etat agissant en tant que personne publique.

Cette distinction est intéressante, dont la mesure où elle fonde la différenciation entre le droit civil et le droit administratif.

Les faits

Une jeune fille âgée de 5 ans, dénommée Agnès Blanco, est renversée par un wagonnet conduit par les employés d’une manufacture de tabac. A l’époque, les manufactures de tabac étaient exploitées directement par l’administration agissant en tant qu’autorité publique.

Le wagonnet passant sur la cuisse jeune Agnès Blanco, celle-ci dû subir une amputation.

La procédure

Le 24 janvier 1872, Jean Blanco, le père d’Agnès Blanco, assigne l’Etat, représenté par le préfet de la Gironde ainsi que les employés de la manufacture devant le tribunal civil de Bordeaux. Il considère en effet que l’Etat doit être condamné sur le fondement des articles 1382 et 1384 du Code civil, c’est-à-dire sur le fondement de la responsabilité pour faute ou de la responsabilité du fait des choses.

Le 17 juillet 1872, le tribunal civil de Bordeaux s’estime compétent pour connaître de l’affaire.

Le 22 juillet 1872, le préfet de la Gironde prend un arrêté de conflit, qui oblige le juge judiciaire à surseoir à statuer jusqu’à ce que le Tribunal des conflits décide si le juge judiciaire ou le juge administratif est compétent pour connaître de l’affaire.

Le Tribunal des conflits est donc saisi de la présente affaire.

Les demandes et moyens de droit soulevés par les parties

Le préfet de la Gironde, représentant de l’Etat, demande au Tribunal des conflits de reconnaître la compétence du juge administratif pour cette affaire.

En effet, le préfet considère qu’en vertu des lois des 16 et 24 août 1790 et du décret du 16 Fructidor An III, les juridictions judiciaires ne peuvent pas connaître des affaires administratives et donc des demandes visant à engager la responsabilité de l’Etat.

La question de droit posée au Tribunal des conflits

Dès lors, la juridiction judiciaire est-elle compétente pour statuer sur les dommages causés par les services publics de l’Etat ?

La réponse apportée par le Tribunal des conflits

Le Tribunal des conflits apporte ici une double réponse :

  • D’une part, l’Etat peut bien être considéré comme responsable du fait des dommages qu’il cause à travers ses services publics. Il n’existe donc pas de principe d’irresponsabilité de l’administration.

  • D’autre part, la responsabilité de l’administration, ni générale ni absolue, ne saurait être engagée sur le fondement du Code civil. Le juge administratif est donc compétent pour connaître de ces litiges.

Les apports de l’arrêt Blanco

Comme indiqué précédemment, cette décision est importante en ce qu’elle nous informe sur deux éléments essentiels.

La responsabilité de l’Etat est susceptible d’être engagée

Rétrospectivement, cela peut paraître évident, mais ce ne l’était pas du tout à l’époque !

En effet, pendant très longtemps, le principe qui dominait le droit administratif était celui de l’irresponsabilité de l’Etat.

Autrement dit, l’administration, même si elle avait commis une faute, ne pouvait pas voir sa responsabilité engagée. Les victimes n’étaient donc jamais indemnisées.

L’arrêt Blanco vient mettre un terme à ce principe en précisant que la responsabilité “peut incomber à l’Etat” et qu’elle a “ses règles spéciales qui varient suivant les besoins du service“.

C’est donc pour cette raison qu’il s’agit de l’une des décisions fondatrices du droit de la responsabilité administrative.

Le droit civil ne peut pas être appliqué à l’Etat

Le Tribunal des conflits précise dans l’arrêt Blanco que la responsabilité de l’Etat “ne peut être régie par les principes qui sont établis dans le Code civil” et qu’elle n’est “ni générale, ni absolue“.

Autrement dit, il est précisé que les règles concernant l’engagement de la responsabilité civile contenus dans le Code civil ne sauraient être appliqués à l’Etat.

De manière simple et directe, les juges répartiteurs refusent que l’administration soit soumise au droit privé, qui s’applique entre pour les personnes physiques et morales.

Cela revient à dire que le droit administratif est un droit autonome et spécial :

  • Autonome, parce qu’il n’a pas être calqué sur le droit civil. Il obéit à des règles et des logiques différentes, avec un juge chargé de son application différent du juge judiciaire.

  • Spécial, parce qu’il peut retenir des solutions différentes de celles retenues par le Code civil, en raison du fait qu’il s’applique à l’administration, garante de l’intérêt général, et non à de simples personnes privées.

C’est donc pour cette raison que l’on considère assez souvent que l’arrêt Blanco est un arrêt fondateur du droit administratif moderne, tel qu’il est encore enseigné en faculté de droit aujourd’hui.

Le mythe de l’arrêt Blanco ?

Beaucoup de juristes ont cherché à nuancer l’importance de l’arrêt Blanco dans le développement du droit administratif.

Une reconstruction historique par l’école du service public ?

D’une part, à l’époque où la décision est rendue, la notion de service public n’est pas aussi importante qu’elle l’est aujourd’hui dans la jurisprudence administrative. Si le mot est bien employé dans la décision, il n’a pas du tout la même signification à l’époque.

En effet, l’école du service public se développe après cet arrêt, sous l’influence de Léon Duguit. Ce sont plutôt les décisions CE, 1903, Terrier, TC, 1908, Feutry et CE, 1910, Thérond qui emploient plus volontairement la notion.

Autrement dit, selon certains juristes, la décision Blanco aurait pu être instrumentalisée par les tenants de cette école de pensée, alors même qu’elle n’évoque que très timidement la notion de service public.

Le précédent de l’arrêt Rothschild

Par ailleurs, contrairement à ce que beaucoup d’étudiants en droit peuvent penser, la possibilité d’engager la responsabilité de l’administration est bien antérieure à l’arrêt Blanco.

Ce principe avait déjà été posé par le Conseil d’Etat dans sa décision Rothschild de 1855.

Sur ce point précis, le Tribunal des conflits n’a donc nullement innové.

La compétence suit-elle toujours le fond ?

En droit administratif, on dit souvent que la “compétence suit le fond“.

Cela veut dire que le fond du droit applicable va déterminer quel juge sera compétent pour connaître d’un litige.

Autrement dit, si le droit administratif s’applique, le juge administratif sera compétent. A l’inverse, si le droit civil s’applique, le juge judiciaire sera compétent.

C’est bien ce qu’il se passe avec l’arrêt Blanco : le droit de la responsabilité administrative doit d’appliquer (à défaut du Code civil), ce qui revient à dire que le juge administratif sera compétent pour connaître de l’affaire.

Pourtant, les choses sont aujourd’hui loin d’être si simple.

Sans rentrer dans les détails, le juge administratif peut aujourd’hui appliquer le droit civil tout comme le juge judiciaire peut appliquer le droit civil.

Bien entendu, cela se produit dans certains cas précis, qui sont très loin d’être majoritaires.

Mais le principe selon lequel “la compétence suit le fond“, qui a largement été alimenté par l’arrêt Blanco, est en réalité loin d’être absolue. Il faut donc largement le relativiser.

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